[Traduction par Vanessa Ly, Paris; formatage et liens hypertextes par George P. Landow.]

Durant la période dite fin de siècle, la figure biblique de Judith a renforcé l’image de la femme fatale comme celle d’un bourreau des hommes. L’histoire biblique parle de la ville de Bethulia, assiégée par Holopherne, un général envoyé par Nabuchodonosor. Judith, une audacieuse femme juive, réussit à pénétrer dans le camp ennemi, à séduire Holopherne puis à le décapiter alors qu’il était ivre. Comme le raconte le Livre de Judith, 13 :6-9 :

Elle s'avança alors vers la traverse du lit proche de la tête d'Holopherne, en détacha son cimeterre, puis s'approchant de la couche elle saisit la chevelure de l'homme et dit : Rends-moi forte en ce jour, Seigneur, Dieu d'Israël. Par deux fois elle le frappa au cou, de toute sa force, et détacha sa tête. Elle fit ensuite rouler le corps loin du lit et enleva la draperie des colonnes. Peu après elle sortit et donna la tête d'Holopherne à sa servante.

Judith a ainsi sauvé la ville et son peuple.

Judith a été de nombreuses fois représentée dans l’art ; Michel-Ange, Caravage et Rembrandt, pour n’en nommer que quelques-uns, l’ont dépeinte en martyr idéalisé. Jusqu’au milieu du XIXè siècle, les représentations idéalisées traditionnelles de Judith comme adolescente dominatrice ont prédominé dans l’art. Mais, comme l’écrit Bram Dijkstra, l’image de Judith change pendant la fin de siècle : «Dans la Bible, Judith a été le parangon du martyre offert en sacrifice pour une noble cause. Les peintres de la fin du XIXè siècle, eux, l’ont vue comme une prédatrice luxurieuse, une tigresse anorexique ». (377)

Le peintre symboliste allemand Franz von Stuck a représenté Judith dans plusieurs tableaux, portant tous le même titre (« Judith et Holopherne »), comme s’il cherchait à décrire chaque étape de la rencontre fatale entre cette femme et cet homme, son ennemi. Dans toutes les représentations, Judith se tient nue, debout au-dessus d’Holopherne qui est, quant à lui, couché sur un lit à sa droite. Cependant, chaque tableau montre un moment différent de la décapitation d’Holopherne par Judith. Dans l’un d’entre eux, elle lève l’épée d’Holopherne à une main, et regarde Holopherne d’en haut avec un air de mépris absolu. Dans une deuxième version, elle se tient au-dessus d’Holopherne qui a levé ses bras sur les côtés, comme s’il était en train d’être crucifié. Judith tient l’épée près de son visage avec ses deux mains et semble rire avec arrogance face au visage prostré d’Holopherne. Dans une autre représentation, elle semble balancer l’épée en arrière, prête à lui donner le coup fatal. La représentation obsessionnelle que fait von Stuck de Judith comme d’une femme dangereusement séductrice et meurtrière permet de caractériser l’obsession plus générale pour la femme fatale existant dans l’imaginaire de la fin de siècle.

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Les représentations les plus célèbres de Judith sont probablement celles du peintre symboliste autrichien Gustav Klimt. La paire de peintures extrêmement décoratives, typiques de la fin de siècle autrichienne, montre Judith comme un personnage féminin très sexuel. Comme le remarque Margaret Stocker dans son livre Judith: Sexual Warrior (« Judith, guerrière sexuelle »), dans les peintures de Klimt, Judith est fétichisée :

Dans Judith I, son visage exprime une joie orgasmique à la castration symbolique de l’homme. Un de ses seins est nu, sa chair teintée magnifiée par le dur placage doré qui métamorphose ses vêtements et ses bijoux. Toutes les surfaces ont des textures d’une grande densité, comme celle, inanimée, suggérée par ses pierres précieuses. C’est un orgasme à la fois brillant et cruel, symbolisé par le corps féminin lui-même. Dans Judith II, l’effet de cruauté est intensifié par son air de malice vorace, les mains sont des griffes. Les deux peintures montrent la « fatalisation » de la femme chère au décadentisme. [Stocker 175-176]

Judith II est renommée dans de nombreux catalogues d’art Salomé, bien qu’il soit incertain que telle ait été l’intention de Klimt. Dans cette peinture, le personnage se tient presque de profil, la poitrine entièrement nue, tandis qu’elle tient par les cheveux la tête d’Holopherne (ou de Jean-Baptiste) entre ses doigts semblables à des griffes, garnies de bijoux. Bram Dijkstra remarque que «la Salomé/Judith de Klimt est un mélange enivrant de traditions de vampires, de haute couture, et de cette obsession de l’époque que la chasseuse de tête avait désiré avoir une connaissance pragmatique de la tête de Jean-Baptiste» (Dijkstra 388). Très typique du Décadentisme, la représentation de Judith par Klimt a servi à avilir l’héroïne biblique et s’est en effet mêlée à l’image plus sombre, plus assoiffée de sang de Salomé.

Salomé, Judith et les hommes décapités dans l’imaginaire de la fin de siècle


Last modified 7 décembre 2011